Les tensions ont toujours été présentes dans le monde de l’entreprise. Elles prennent racine dans les jeux de pouvoir propres à l’entreprise hiérarchique qui distribue des rôles entravants dans un jeu relationnel qui frise l’absurdité. Pour en affranchir les collaborateurs, managers comme managés, l’Entreprise Mature amoindrit le besoin en ressources du pouvoir et donc leur mobilisation par les acteurs. Ce faisant, ils acquièrent la latitude pour s’exprimer et prendre des responsabilités réellement productives pour l’entreprise. Explications.
La convivialité du management moderne ne change rien sur le fond à la pression qui s’exerce toujours en entreprise. Si elle camoufle les contraintes exercées sur les collaborateurs, elle ne les supprime pas pour autant. Aussi, les relations sont devenues plus difficilement lisibles et il devient difficile de se positionner face à une hiérarchie qui souffle le chaud et le froid. Pourquoi tant de dysfonctionnements ?
La réponse réside en grande partie dans les jeux de pouvoir qui irriguent toutes les relations de l’entreprise pyramidale traditionnelle. Ces jeux, rendus possibles par des ressources que mobilisent les acteurs afin de préserver leurs enjeux notamment identitaires, déséquilibrent les relations entre ceux qui détiennent ces ressources et ceux qui doivent d’y soumettre. Ils obligent toutes les parties à composer selon des mises en scène hiérarchiques qui n’ont rien d’authentique, mais asphyxient de formidables gisement de productivité.
Pour mettre un terme à ce qui se rapproche d’une mascarade, les relations entre tous ceux qui travaillent à la même entreprise doivent s’établir davantage sur un pied d’égalité. Pour y parvenir, reste à repérer les ressources du pouvoir identifiées par Crozier & Friedberg pour mieux les neutraliser :
L’expertise : il s’agit d’un savoir et d’une capacité à résoudre des problèmes que d’autres ne peuvent pas régler. La position d’un expert sera d’autant plus forte que son savoir est rare et difficile à obtenir, ce qui le positionne comme une personne incontournable dans l’entreprise.
Les liaisons du système :
L’écosystème de l’entreprise inclut les fournisseurs en amont, la distribution de la productivité en aval. Autant de flux qui ne sont pas assurés et créent une marge d’incertitude. Les acteurs les plus capables de maîtriser ces zones d’incertitudes ont une valeur importante aux yeux de l’organisation. Exemple avec un commercial en relation étroite avec les clients importants : il détient le pouvoir de celui qui joue le rôle indispensable d’intermédiaire et d’interprète entre des logiques d’action différentes, voire contradictoires.
L'attribution des moyens :
Ces moyens recoupent la capacité de production, les équipements, les matières, les effectifs. Les affecter confère un pouvoir d’autant plus important que ces moyens sont limités, et que celui qui les contrôle les distribue à sa discrétion.
La maitrise de l'information :
Cette ressource de pouvoir concerne en particulier l’information en entrée qui va amorcer l’activité. Ce n’est pas tant accéder à l’information qui donne le pouvoir, mais y accéder avant tout le monde. Le détenteur d’une information exclusive peut l’utiliser en fonction de ses propres enjeux en la communiquant à un public ciblé, ou en ne la communiquant pas.
La maitrise des règles :
Les règles sont créées pour que les procédures définies comme les plus pertinentes par l’entreprise soient suivies. Ce faisant, elles diminuent, voire suppriment l’arbitraire, ce qui peut arranger tant ceux qui dirigent, que ceux qui sont dirigés et y voient une protection aux sanctions. Ainsi, le pouvoir généré par la règle n’est pas réservé à ceux qui les édictent. En témoigne le respect excessif de la règle qui peut aller jusqu’à la grève du zèle et diminuer la performance d’un service. La règle, enfin, est une variable d’ajustement de la marge de manœuvre de chacun, soit en se retranchant derrière elle, soit en s’autorisant à la transgresser dans la mesure permise.
Le positionnement symbolique :
C’est le cas d’une fonction qui donne à la personne un pouvoir officiel et visible, mais ne dépend ici d’aucune capacité d’intervention. Cette ressource de pouvoir a la caractéristique d’être permanente.
L’Entreprise Mature ne supprime pas ces ressources de pouvoir. Sa démarche amène plutôt les individus à moins les mobiliser afin de laisser place à une relation plus équilibrée dans les rapports entre personnes. Il ne s’agit pas d’imposer une égalité utopique de responsabilité et de traitement issue d’une pression réduite de la hiérarchie, mais de laisser chacun s’exprimer et calibrer son ambition selon ses besoins. En effet, l’Entreprise Mature – et lucide – ne perd pas de vue l’environnement capitalistique de l’entreprise. C’est bien dans ce cadre que l’Entreprise Mature favorise la mobilisation du salarié conformément aux principes de l’entreprise, ainsi que sa compétence professionnelle dans une délégation de responsabilités productives. Or, cette dynamique ne peut se déployer qu’en l’absence de mobilisation des ressources de pouvoir.